Jean Birnbaum introduit cet essai en citant Camus : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison. » Comment ne pas partager la sévérité de son constat de la dégradation du débat public ?
De tous temps, en politique, et à quelques rares exceptions de concorde nationale près, l’opposition au pouvoir en place s’est caractérisée par son côté systématique, le manichéisme des arguments étant la règle. Cela n’a pas toujours empêché le respect, fort heureusement.
Aujourd’hui, hélas, les débats, qu’ils soient publics ou qu’il relèvent de la discussion privée, deviennent de plus en plus violents, chacun étant sommé de rejoindre un camp, d’accepter la polarisation idéologique, de renoncer à toute prise de position nuancée. L’accélération de ce processus depuis quelques années est largement dûe aux réseaux sociaux où, comme l’écrit Birnbaum « de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines plutôt qu’éclairer les esprits. » Il est d’ailleurs possible que le lecteur de ce livre sorte, comme je l’ai été, convaincu de revoir sa propre utilisation de Facebook et, surtout, de Twitter.
La complexité croissante de nos sociétés devrait nous obliger à des argumentations nuancées mais il n’en est rien. À l’impatience, la précipitation et aux enfermements dans des dogmes qui n’ont plus lieu d’être, l’auteur oppose la nuance qui n’est pas une preuve de faiblesse, mais au contraire, de bravoure. Cet héroïsme de la mesure, Birnbaum l’illustre en recourant à Camus, Orwell, Arendt, Aron, Bernanos, Tillion et Barthes, des intellectuels qui n’ont jamais cédé à la facilité de l’opposition frontale d’une idéologie à une autre, d’un slogan à un autre.
Lecture salutaire pour retrouver une éthique du doute et en finir avec la vacuité de l’arrogance.
Marc T.