Comprendre que les mesures radicales que l’on préconise en fonction de son positionnement politique peuvent avoir des conséquences extrêmement négatives par ailleurs, exige une approche globale des problèmes qui n’est pas à la portée de tous.
C’est le cas dans bien des domaines – le climat, la lutte contre les inégalités, l’emploi, les libertés, l’immigration, etc… – et l’incapacité à aborder la complexité de ces questions caractérise les partis extrémistes, du Rassemblement National à la France Insoumise en passant par l’écologie politique qui, sur bien des sujets pourrait se fondre aisément chez les insoumis.
Absence de prise en compte de l’évolution du monde et des politiques pratiquées dans d’autres pays que le nôtre, opposition systématique de la production à la défense de l’environnement, de la création de richesse à la réduction des inégalités, de la croissance à l’emploi, des libertés à la sécurité, autant de thèses qui témoignent d’une approche dogmatique, sans nuance, simpliste.
Il est faux de dire que nous serions sommés de choisir entre la protection de l’environnement et la création de richesse, donc l’emploi, donc la protection sociale, donc la lutte contre les inégalités !
Il est stupide de ne pas prendre en considération, lors de nos propres choix, les politiques en vigueur dans les pays émergents qui eux, continueront coûte que coûte à lutter pour se rapprocher des niveaux de vie des pays dits riches. Et d’ailleurs, comment le leur reprocher ?
Il est utopique de croire que l’on pourrait empêcher la Chine d’ouvrir des centrales à charbon toutes les semaines, que l’Inde, l’Afrique, les pays d’Amérique du Sud renonceront à toute forme de croissance.
Créer des conditions en Europe, en France, qui nous mettraient à la merci sur le plan économique des besoins ou des volontés de développement de ces pays serait suicidaire. Alors même si, pour ce qui est du climat, les efforts de chaque pays, de chaque citoyen sont indispensables et urgents, y compris pour les moins pollueurs (dont la France), nous n’avons pas à choisir entre une société en croissance, accédant au plein emploi, bénéficiant d’un excellent niveau de protection sociale mais détruisant la nature, et une société qui, à l’inverse, serait parfaitement égalitaire, protègerait l’environnement mais verrait les niveaux de vie décroître et les systèmes de protection sociale, santé et retraites, se dégrader rapidement.
Il est facile de faire le parallèle avec l’aveuglement qui conduit à accepter des atteintes aux libertés individuelles au prétexte que cela renforcerait la sécurité, ou à croire qu’une politique intelligente de l’immigration passerait par la fermeture des frontières.
En Europe au moins, il n’est pas irréaliste de penser qu’il est tout à fait possible de combiner démocratie, croissance, défense de l’environnement et justice sociale.
Avec les mesures déjà prises dans la lutte contre le réchauffement climatique, on constate que de nombreux pays voient leur production industrielle augmenter plus rapidement que leur consommation d’énergie ( en France les émissions de CO2 ont baissé de 4,5% en 2022 alors que le PIB a crû de 2,6% ) ce qui prouve, de manière factuelle, que le respect de l’environnement peut être compatible avec une croissance raisonnée.
Il est possible de faire en sorte que la société soit en mesure de poursuivre la transition écologique sans sacrifier son niveau de vie au profit de pays qui visent la croissance à tous prix.
Le crédo des extrêmes qui prétendent que création de richesse et justice sociale sont antinomiques est mensonger. Le système actuel est bien sûr loin d’être parfait. Le monde change, la valeur « travail » évolue, sa rémunération doit probablement être revue, la répartition de la richesse produite également. L’élimination du recours aux énergies fossiles dans la production doit bien sûr être encouragée. Les mutations que connaît la consommation des ménages vont se poursuivre. En Europe au moins, il n’est pas irréaliste de penser qu’il est tout à fait possible de combiner démocratie, croissance, défense de l’environnement et justice sociale. Pour combien de temps ? Impossible à dire. Les déséquilibres climatiques et démographiques avec d’autres régions du monde sont d’incommensurables sources d’instabilité.
Ce qui est certain, en revanche, c’est que la décroissance réclamée parfois violemment par certains est une utopie. Utopie qui serait belle si tous les dirigeants de la planète la décrétaient simultanément, que personne ne soit lésé par d’autres qui profiteraient des renoncements des plus raisonnables. Cette unanimité est totalement illusoire.
Dans l’incertitude voire l’angoisse liée aux perspectives qu’offre notre époque de plus en plus folle, nous ne pouvons que nous en remettre aux préconisations d’experts (ceux du GIEC mais pas seulement), de chercheurs qui prennent en compte l’incroyable complexité du monde, qui essaient de proposer des solutions les moins mauvaises possible. Et renvoyer les simplismes des extrêmes de notre échiquier politique au rang de lanceurs d’alerte.
MT
Illustration : détail d’une oeuvre de Banksy