Charles Bukowski

Charles Bukowski

Je ne suis pas un homme de réflexion. Je fonctionne aux sentiments et mes sentiments vont aux estropiés, aux torturés, aux damnés, aux égarés, non par compassion mais par fraternité, parce que je suis l’un des leurs, perdu, paumé, indécent, minable, lâche, injuste, avec de brefs éclairs de gentillesse. Salement atteint et conscient de l’être, cette lucidité ne m’est d’aucun secours, au lieu de me guérir, elle me plombe.    
…/… Cette fille aimait tout ce qui m’ennuyait, et tout ce que j’aimais l’ennuyait. Nous étions le couple parfait : ce qui sauvait notre relation, c’était cette distance à la fois tolérable et intolérable entre nous.On se retrouvait chaque jour – et chaque nuit – sans avoir rien résolu et avec zéro chance de résoudre quoi que ce soit. La perfection.        
Extrait de « Shakespeare n’a jamais fait ça » (1979)

Anne Dufourmantelle

Anne Dufourmantelle

Après un doctorat de philosophie, elle devient psychanalyste, membre du Cercle Feudien.     
Éditrice et auteure de nombreux ouvrages dans lesquels le risque et la douceur ont une place primordiale.    
Anne Dufourmantelle meurt le 21 juillet 2017 des suites d’un arrêt cardiaque, en tentant de sauver l’enfant d’une amie de la noyade sur la plage de Pampelonne.

Au risque d’inviter une femme à danser un rock et lui chuchoter « fermez les yeux ».  
Au risque de partir en voiture pour aller dîner en ville et finir à Rome, le lendemain, après avoir roulé toute la nuit, parce qu’on a changé d’idée.    
Au risque de voir votre homme pour la cinquantième fois décliner l’offre du petit vendeur de roses (fripées) pakistanais, et lui acheter toute la brassée pour l’offrir à ceux qui sont là dans la salle.
Au risque des nuits blanches.
Au risque d’écrire à un(e) presque inconnu(e) une lettre d’amour à partir d’un presque rien qui vous aura reversé dans une fulgurance inconnue de vous jusqu’alors.   
Au risque de ne pas cesser de faire l’amour.   
Au risque de prier sans le secours d’aucun Dieu, ou même avec.    
Au risque de l’amitié, cachée, folle, éperdue, infinie. Pire qu’un amour.     
Au risque de l’ennui, et aimer cet ennui sans secours.    
Au risque de marcher seul dans une ville, et attendre que survienne, à cet instant, le sens de toute une vie; savoir que le lendemain tout disparaîtra.  
Extrait de « Éloge du risque » (2011)

La douceur apparaît d’abord comme une défaillance.    
Elle déroge à toutes les règles du savoir-vivre social.    
Les êtres qui en font preuve sont parfois des résistants mais ils ne portent pas le combat là où il a lieu habituellement.    
Ils sont ailleurs.     
Incapables de trahir comme de se trahir, leur puissance vient d’un agir qui est constamment une manière d’être au monde.      
Extrait de « Puissance de la douceur » (2013)

Antenor Firmin

Antenor Firmin

Dans tous les pays, dans toutes les races, le progrès ne s’effectue, ne se réalise, ne devient tangible que lorsque les couches sociales inférieures, qui forment toujours la majorité, tendent à monter, en intelligence, en puissance, en dignité et en bien-être.  
Extrait de « La politique haïtienne » (1905)

Romain Gary

Romain Gary

Je sais bien que c’est ta mère, mais c’est tout de même beau, un amour comme ça. Ça finit par vous faire envie… Y aura jamais une autre femme pour t’aimer comme elle, dans la vie. Ça, c’est sûr.
C’était sûr. Mais je ne le savais pas. Ce fut seulement aux abords de la quarantaine que je commençai à comprendre. Il n’est pas bon d’être tellement aimé, si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c’est arrivé. On croit que ça existe ailleurs, que ça peut se retrouver. On compte là-dessus. On regarde, on espère, on attend.  
Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais.    
On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours.    
Extrait de « La promesse de l’aube » (1960)

Victor Hugo

Victor Hugo

Tu as raison, les mots manquent, le cœur est plein, la parole est vide, comment dire qu’on aime ? Comment exprimer l’amour ? Comment l’exprimer à une femme comme toi ? Par quelles paroles rendre ce mélange de tendresse, de respect, d’estime, d’admiration, de dévouement et d’adoration qu’une âme comme la tienne fait naître dans un cœur comme le mien ? J’y renonce. La parole humaine n’est pas faite pour exprimer l’infini, et je me contente de te dire je t’aime !       
Correspondance, Lettres à la fiancée (1947)

Erik Orsenna

Erik Orsenna

Quand une femme est la douceur et le trouble, l’amusement et la gravité, la nouveauté et la mémoire, le voyage et la demeure, quand, du plus loin qu’elle s’approche, une vague monte en vous, survolée d’oiseaux muets, quand le grain du moindre endroit de sa peau se lit comme un chant grand ouvert au-dessus d’un piano, quand ses yeux se plissent, n’osant pas tout à fait sourire, quand ses cheveux d’un seul mouvement balaient les jours passés à l’attendre, quand au côté de son cou quatre jugulaires battent une mesure effrénée, quand la nuit et l’ennui et le froid tombent à l’instant sur le reste de la Terre, quand à l’oreille résonne déjà le petit mot futur du bonheur, « viens », quel homme digne de son nom refuse ce miracle et choisit de fuir en invoquant l’inconfort d’aimer ?    
Extrait de « Longtemps » (1998)

Alejandra Pizarnik

Alejandra Pizarnik

Poétesse argentine née en 1936 au sein d’une famille d’immigrants juifs d’Europe centrale. Entre 1960 et 1964, elle séjourne à Paris où elle travaille comme pigiste pour le journal Cuadernos para la liberación de la cultura. Durant cette période, elle participe à la vie littéraire parisienne, ce qui la conduit à multiplier les rencontres d’écrivains et à se lier d’amitié avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, et Julio Cortázar. Au cours de son séjour à Paris, elle suit également des cours à la Sorbonne. Durant les années suivantes, après être rentrée en Argentine, elle publie à Buenos Aires ses ouvrages les plus importants. Elle se donne la mort le 25 septembre 1972, à l’âge de 36 ans.

Je n’appartiens tout simplement pas à ce monde. J’habite la Lune avec frénésie. Je n’ai pas peur de mourir, j’ai peur de cette terre étrangère, agressive. Je n’arrive pas à penser aux choses concrètes, elles ne m’intéressent pas. Je ne sais pas parler comme tout le monde. Mes mots sont bizarres et viennent de loin, d’un endroit où personne ne se rencontre. Que ferais-je une fois plongée dans mes mondes fantastiques et incapable de remonter à la surface ? Parce que c’est bien ce qui risque de m’arriver. Je partirai et ne saurai pas revenir. Je ne saurai d’ailleurs pas qu’il existe un “savoir revenir”. Et je n’en aurai peut-être tout simplement pas envie. 
Extrait de « Correspondance avec Léon Ostrov » (1955-1966)

Philip Roth

Philip Roth

Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer rien que pour la balade.    
Pastorale américaine (1997)

Stefan Zweig

Stefan Zweig

Toujours, les hommes qui prétendent combattre pour Dieu sont les plus insociables de la terre ; parce qu’ils croient entendre des messages divins, leurs oreilles restent sourdes à toute parole d’humanité.    
Extrait de Marie Stuart (1935)