Il était une fois, un gars, qui, adolescent puis jeune adulte, était sociable.
Non, mieux que ça, il était un infatigable animateur de la vie sociale autour de lui.
Biberonné très jeune à la politique par des parents enseignants qui tentèrent de lui apprendre que l’initiative individuelle était une insulte à la collectivité (!), il fut élu chef des chefs au lycée puis ferrailla à l’Université contre les étudiants en droit catalogués fascistes. Certaines nuits montpelliéraines furent parfois très agitées.
La politique et les filles occupaient la plupart de son temps. Les cours aussi, par intermittence.
Il était vraiment sociable.
Suivirent quelques années sans véritable boussole, et une conscience politique qui peu à peu réalisait la complexité des sociétés, celle de l’ordre mondial et de fait, l’incomplétude des différentes obédiences politiques. Impossible pour lui de se reconnaître dans un parti ou chez un dirigeant, quels qu’ils soient.
Besoin de nuance, de cohérence, de liberté, aussi.
Et déjà, bien sur, de nombreuses ruptures, dont quelques unes affligeantes.
Avec des succès variables, la vie sociale qui suivit durant plus de trois décennies s’est résumée en une misérable entreprise de séduction de clients, de fournisseurs et de banquiers. A des années-lumière de la vie rêvée du post-ado du début des années 80. La nécessaire course à la réalisation d’objectifs économiques avait occupé l’essentiel de sa vie d’adulte et l’insatisfaction s’avérait totale.
Il aurait dû être pianiste de jazz, ou écrivain, ou même gardien de phare ! Il s’était contenté de batailler pour créer, développer, pérenniser et finalement liquider une boîte… 14 heures par jour, 6 jours par semaine, 50 semaines par an durant plus de 30 ans. Le vide, sidéral, déprimant.
Le hasard des rencontres sur la fin de sa carrière professionnelle lui a permis de placer sa vie sous un soleil bien différent. Côtoyer enfin des hommes et des femmes sans contrainte ni but précis, par amitié ou pas, peu importe, et advienne que pourra…
De beaux et bons moments, des abus, des dérapages, la vie quoi, la vraie.
Il aimait Wolinski et se félicitait avec lui que la vie commence à 60 ans.
Il découvrait dans les restaurants ces gens qui s’embrassent plus ou moins faussement, se congratulent, se touchent, s’évaluent… Son intégration dans ces milieux fut rapide et même, à bien y réfléchir, vaguement étourdissante. Socialisation à grande vitesse, rattrapage (illusoire) du temps perdu.
Prudence de sioux face à certaines situations, n’importe quoi dans d’autres, curieux mélange de lucidité et de provocation, d’abandon aussi. Enfin, en guise de conséquence probable de ce relâchement, difficultés professionnelles, marché qui se retourne à grande vitesse, vigilance sans doute émoussée et cessation d’activité qui le renvoie dans sa campagne.
Dès lors, sans obligation de se rendre en ville, la prise de distance d’avec ce réseau plus ou moins amical constitué en quelques années s’est progressivement imposée. Nombreux motifs de culpabilité, relecture de Toxique de Françoise Sagan qui parle magnifiquement de la dépression. Écriture en cachette, livres, musique, balades en forêt, solitude dans laquelle au lieu de sombrer toujours, il monte parfois. Sorties en ville au compte-goutte, cinq ou six par an, histoire de quitter sa maison qui a, depuis, acquis le statut de grotte.
Il est devenu ours.
Marc T.
P.S. : Toute ressemblance avec qui que ce soit est bien sûr purement fortuite…