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Parler de décivilisation en qualité de démocrate, est-ce possible ? 

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En rendant hommage aux trois policiers tués par un chauffard, Emmanuel Macron a prononcé le mot « décivilisation » en parlant de l’évolution des rapports sociaux dans notre pays.
Le recours à un tel vocabulaire est-il acceptable dans la bouche d’un démocrate ?
Peut-on évoquer le concept de décivilisation sans être accusé de se ranger aux arguments de l’extrême droite ?

En effet, les risques de simplification est d’amalgame sont grands.
Que Madame Le Pen se soit aussitôt félicitée que le Président rejoigne sa théorie sur « l’ensauvagement » de la société est, de ce point de vue, significatif. Notons au passage que le premier à avoir utilisé le terme de « sauvageons » n’est autre que l’ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, Jean-Pierre Chevènement, qui a ainsi inspiré la famille Le Pen.
Il y a pire encore : un certain Renaud Camus, mentor d’une partie de l’extrême droite, antisémite notoire, inventeur du grand remplacement cher à Zemmour, à publié en 2011 un livre carrément intitulé… « Décivilisation » !

Alors, prononcer ce mot sans être accusé de collusion avec l’extrême droite, est-ce possible ?
La réponse est oui, évidemment, à condition de s’en tenir à une définition précise de la civilisation en tant que processus, d’établir un constat le plus clair possible des signes d’affaissement des institutions, et bien sûr, d’expurger l’ensemble de toute considération raciste.

Un autre livre, fondamental celui-là, intitulé « Sur le processus de civilisation » a été publié en 1939 par le sociologue allemand Norbert Elias, véritable référence en la matière. Il y décrit la manière dont la civilisation occidentale a progressivement évolué depuis la Renaissance. Il raconte comment les mœurs de l’époque se sont transformées au fil du temps pour tendre vers plus de raffinement, de retenue, de distance entre les individus, comment les pulsions se sont peu à peu domestiquées et éloignées de la bestialité pour aboutir à un vivre ensemble acceptable par tous.
Aujourd’hui, clairement, les rapports sociaux se brutalisent de manière préoccupante. Le processus de civilisation est interrompu, voire inversé. Et l’on peut donc, dans cette acception, parler de « décivilisation », de perte de civilité, de savoir-vivre ensemble.

La violence progresse pour diverses raisons.
Il y a une intolérance croissante à l’égard des dysfonctionnements des systèmes, qu’il s’agisse de santé, d’éducation, de justice, de sécurité etc…
Pour ce qui est des jeunes délinquants, la désinhibition semble s’être généralisée en raison d’un évident sentiment d’impunité.
L’individualisme devient la règle chez ceux qui ne supportent aucune obligation sociale. Les refus des arguments d’autorité se multiplient et c’est ainsi, par exemple, que des élus, notamment des maires, sont régulièrement agressés, mettant en péril la démocratie même.

Les liens qui unissent les individus censés former une société sont en souffrance.
Le processus de « décivilisation » semble bien être une réalité et non pas un « concept fumeux » comme s’est empressé de l’écrire Edwy Pleyel…
La seule question qui vaille aujourd’hui est relative aux éventuelles solutions pour l’enrayer, pour faire en sorte que les institutions soient respectées et leur autorité rétablie, dans une démocratie qui doit le rester, dans le nécessaire respect des libertés individuelles. Vaste programme, mais c’est là-dessus que doit être attendu et jugé Emmanuel Macron, et non pas sur l’utilisation pertinente du mot « décivilisation » devant les cercueils des policiers.

Cette lutte doit être une priorité car les pertes de repères chez les uns font monter les désirs d’ordre et d’autorité chez les autres, toujours prêts à succomber aux mirages populistes de Le Pen. 

MT

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