Illustration de tous pourris

Tous pourris, ce raccourci idiot

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S’il est une idée mortifère pour la démocratie à évacuer d’urgence, c’est bien celle du “tous pourris” qui caractériserait sans distinction l’ensemble de nos politiques. Entretenue par une sphère médiatique peu scrupuleuse, cette pratique populiste consiste à prendre en otage des cibles faciles, de petits esprits trop contents de dénigrer systématiquement des supposés détenteurs d’un pouvoir, ou encore des gens dont les conditions de vie sont pénibles malgré leurs efforts. Il n’est pas très compliqué de les convaincre qu’ils souffrent pendant que leurs élus profiteraient d’avantages indus. Le “tous pourris” fait florès, notamment sur les réseaux sociaux, lieux par excellence de propagation de fausses informations et de complotisme. “Tous pareils, tous pourris”, ce raccourci bien pratique qui dispense de réflexion et d’un minimum d’intelligence.

Pourtant, à quelques sinistres exceptions près de tous bords, notre classe politique est plutôt respectable. Les élus ne sont jamais qu’à l’image de la société : il y a des bons et quelques mauvais, des gentils et quelques méchants, des doués et quelques crétins, les pires étant les méchants doués. Nous en reparlerons.

Comment imaginer qu’une personne revendiquant une responsabilité politique, que celle-ci soit modeste ou au contraire très puissante, y prétende dans un autre but que celui d’améliorer la vie des gens ? À priori, ce devrait être la règle pour tous, du maire d’un petit village au président de la République, et j’ai la faiblesse de penser que ça l’est pour la plupart d’entre eux. 

La plupart, donc pas tous, c’est une évidence. Mais la critique systématique, le dénigrement des élus dans leur ensemble ne fait qu’aggraver la suspicion à leur égard et stimuler la montée préoccupante des violences verbales et même physiques, autant de dérives qui, entre autres conséquences dramatiques, freinent les vocations. Tout cela est injuste et extrêmement dangereux pour la démocratie. Qu’il y ait des candidates et des candidats pour occuper ces postes est une chance pour la société, pour chacun de nous. Essaie juste une minute d’imaginer que personne n’en veuille !

Distinguons donc le goût du pouvoir pour le pouvoir, misérable, voire crapuleux lorsqu’il est utilisé à des fins personnelles, du goût pour le pouvoir de faire. De manière générale, et avec toutes les exceptions susceptibles de confirmer ce point de vue, l’engagement politique est plutôt sincère dans la volonté d’améliorer le sort de la population que l’on représente, dans la fidélité à des convictions, à une philosophie de vie, à une éthique. Les orientations sont évidemment discutables, mais l’engagement doit, de manière générale, être respecté.

Pour autant, il ne sert à rien de nier la présence d’apprentis dictateurs ou celle de quelques voyous qui portent une atteinte criminelle à la crédibilité de tous. Parmi ceux qui ont récemment dégradé l’image du personnel politique en France, Jérôme Cahuzac tient une place de choix. Sa première faute, commise lorsqu’il était chirurgien, relève de la fraude fiscale. De l’argent caché en Suisse vraisemblablement pour échapper à l’impôt. Faute découverte alors qu’il était ministre… du budget, ce qui ne manque pas de sel. Il a commencé par nier vigoureusement ces accusations, donc à mentir. Il est d’ailleurs significatif du fonctionnement de l’opinion publique que ce soit le mensonge du ministre qui lui a été reproché, bien plus que la fraude du chirurgien pourtant à l’origine du cataclysme. Les dégâts pour l’ensemble de la classe politique  ont été considérables. Tous tricheurs, tous menteurs… Or, prétendre que les turpitudes de ce monsieur seraient la norme chez de nombreux élus ou nommés aux plus hauts postes de l’action publique est une ânerie. Celles de Patrick Balkany, autre figure symbolique de la voyoucratie politique, non plus.

Ces deux personnages ont été jugés, ont donc payé pour leurs agissements et il ne m’appartient pas de juger ici du niveau de sévérité de la justice à leur égard. Considérons plutôt la France et ses 36000 communes, ses départements et régions,  ses centaines de milliers d’élus parmi lesquels, fatalement, quelques canards boiteux qui ne doivent pas faire oublier la grande majorité de celles et ceux qui s’engagent pour des raisons infiniment respectables.

Leurs agissements sont aujourd’hui scrutés, leur passé examiné sous toutes ses coutures, parfois par des gens dont la volonté de nuire est évidente. 

C’est ainsi que se développe au sein de la société une exigence de pureté qui n’est pas sans danger. Les parcours humains échappant à toute critique n’existent pas. Personne n’est parfait, n’est-ce pas ? Tous les mensonges ne se valent pas, bien sûr, mais quelle campagne électorale n’a pas présenté de promesse finalement non tenue, de boniment dans le seul but de gagner l’élection ? Plus généralement, qui n’a jamais changé d’avis, n’a jamais évolué dans ses convictions profondes, n’a jamais menti ou donné l’impression de l’avoir fait ? 

Là comme ailleurs, tout est affaire de dosage, de nuance. Que les gens qui prétendent à des responsabilités politiques soient l’objet d’une attention particulière, c’est bien normal. Plus le niveau du poste occupé est élevé, plus l’exigence doit être grande, comme dans la vraie vie, finalement. Soyons donc vigilants, sans leur demander d’atteindre une impossible perfection. Impitoyables avec les quelques criminels avérés, éventuellement sévères dans les urnes si les actions ne sont pas jugées conformes aux promesses ou aux attentes, mais conservons des a priori confiants quant à la nature de l’engagement, même à défaut d’adhésion aux idées car oui, contrairement à ce que croit un pourcentage  important de la population,  s’engager en politique est généralement honorable. 

Cet engagement est vital pour la démocratie.

MT

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